jeudi 1 août 2013

Vivre dans un quartier d'Épinay, où règne le trafic

Le témoignage suivant est celui d'un ami d'Épinay Citoyen, habitant de La Source, et qui y a toujours vécu. Il a souhaité partager son expérience d'habitant de cette cité, loin de toutes les caricatures et les idées préconçues sur la vie dans les quartiers en banlieue. Pour lever toute crainte sur sa sécurité et celle de ses proches, certains détails, notamment les prénoms, ont été modifiés.

Je m'appelle Marc-Antoine, je vais sur mes 30 ans. Je vis à La Source depuis que j'y suis né, chez mes parents. Quand je dis que je vis dans une cité du 93 à mes amis qui vivent à Paris ou dans des banlieues plus calmes, en général j'ai droit à tout une série d'idées reçues sur la vie en cité. La drogue, la violence, les armes, l'islam, en quelques minutes tout y passe à travers des questions plus proches d'un reportage de TF1 que de ma vie de tous les jours. Les travers de la bien-pensance finissent d'ailleurs toujours par s'exprimer par des constats assez réducteurs du type : « alors c'est possible de grandir dans un quartier sans devenir un wesh ou un trafiquant ? »

Cité de La Source (photo Nicolas Oran)
J'aimerais pourtant que les gens comprennent aussi ce qu'il peut y avoir de bon à grandir dans un quartier populaire : les liens de solidarité, l'ouverture d'esprit sociale et culturelle à mon avis au-dessus de la moyenne. En tout cas il y a encore quelques années. Tout cela a bien pris fin. En 2007, on a même tué l'épicier que tout le monde connaissait et appréciait, une bête rixe pour de l'alcool. Cela a fait la une des journaux pendant quelques jours, puis on a laissé La Source à ses problèmes, à la dérive.

Le problème des reportages catastrophistes c'est qu'ils présentent les quartiers comme un danger pour la France, pour les habitants des villes et des quartiers aisés. C'est la peur des zones de non-droit dont parlait Sarkozy sans avoir jamais rien fait pour endiguer le problème. La réalité, il faut le dire, c'est que les dangers qui existent en banlieue, personne d'autre n'en souffre que les gens qui y vivent. La criminalité, le trafic de drogue, les armes cachées dans les caves : ce n'est pas à Paris ou à Neuilly, ou même dans les quartiers bourgeois d'Épinay-sur-Seine, sur les bords de la Seine, que les gens en souffrent. C'est ici. Si les gens aisés étaient touchés, on peut supposer que la réaction serait plus virulente. Tant que ce ne sont que les pauvres qui souffrent, on ferme les yeux.

Cette criminalité, elle se fait au vu et au su de tout le monde. Il suffit de prendre l'air quelques minutes sur son balcon pour voir dans quel buisson les jeunes du trafic stockent leurs produits dans des sacs plastique pour la journée. Tout le monde sait dans quel immeuble les derniers arrivages d'armes ont été stockés : kalachnikov, taser... D'ailleurs, on voit parfois des gamins s'amuser avec les taser, s'électriser les uns les autres, sans que personne ne s'en inquiète. La vie de ceux qui entrent dans le trafic est ennuyeuse : celui que vous voyez guetter le matin en sortant de chez vous peut être posté au même endroit à la tombée du soleil sans avoir bougé d'un millimètre.

La police ? Nationale ou municipale, elle passe, elle fait ses rondes. On entend les délinquants le signaler aux quatre coins du quartier. Parfois, la voiture s'arrête quelques minutes, puis repart. Elle sait ce qui se passe, mais n'agit pas. En a-t-elle les moyens ? Quelles sont ses instructions ? Personne ne le sait, mais cela fait longtemps que les habitants du quartier savent qu'il ne faut pas compter sur la police. Même pour un problème de voisinage ou une dispute conjugale, la police ne vient plus. Il n'y a que les pompiers qui interviennent, même à contrecœur, en cas d'incendie ou de fuite de gaz (c'est à dire plusieurs fois par an, dans les immeubles du quartier, toujours presque insalubres malgré les soi-disant travaux de rénovation urbaine).

Ceux qui sont postés chaque jour à vendre de la drogue aux voitures des clients (souvent immatriculées 92 ou 75), nous les connaissons forcément, ce sont des enfants du quartier. Moi-même, mon frère, étions souvent à l'école avec eux. De moins en moins car tous ceux de notre génération sont maintenant soit sortis du trafic, soit derrière les barreaux, soit ont pris du galon, soit morts dans les règlements de compte qui agitent la ville régulièrement. Les nouvelles recrues sont de plus en plus jeunes, embrigadées de plus en plus tôt il n'est pas rare d'en voir commencer à participer à cette économie bien peu souterraine à 13 ou 14 ans. Comment est-ce possible ? L'absentéisme scolaire n'a aucune conséquence. Les parents, parfois, surtout quand ils sont isolés, ne savent pas comment contrôler leur enfant, ou ne se rendent pas compte. Parfois aussi, ils ferment les yeux. Difficile aussi pour certains de renoncer à l'argent que leur rejeton ramène, encore plus quand ils ont eux-mêmes commencé à travailler très jeune et jugent finalement cela normal. Beaucoup croient même qu'un enfant ne peut pas faire de prison. Rien de sérieux n'est fait pour sauver les enfants-soldats du trafic. Eux aussi sont délaissés, promis à un avenir sans éducation, sans morale, sans liberté, où pour survivre la criminalité risque bien d'être la seule voie. Encore plus dans une cité où environ 30% de la population est au chômage, et certainement plus d'un jeune sur deux.

Cité d'Orgemont (photo Sectorprod Conception)
Le trafic, la prison, les règlements de compte, voilà à quoi ces familles sont condamnées. Voilà aussi sur quoi prospèrent les extrémistes, les mouvements prônant le terrorisme qui s'implantent dans le quartier, là aussi au vu et au su de tout le monde. La sécurité fait partie des Droits de l'homme et du citoyen dans l'article II de la Déclaration de 1789.

En attendant, les 10 000 habitants de La Source se taisent et supportent les agissements de quelques dizaines de délinquants qui imposent leur loi. Une chape de plomb pèse sur notre ville et sur notre vie. Vivre dans un quartier d'Épinay, c'est bien souvent se battre pour en partir. Ou bien se résigner à se taire, à préserver son chez soi, son hall d'immeuble face à l'insécurité, à la saleté que propagent les délinquants pour mieux manifester à quel point pèse leur autorité. Certains se défoulent par le seul moyen qu'il reste, les urnes : aux législatives de 2012, le Front National a fait un score de près de 12% contre 13,5% pour le premier candidat de la droite classique.

Il y a quelques semaines, une intervention de grande ampleur a été faite dans un autre quartier de la ville (Orgemont). Il paraît que cela n'a rien donné que l'arrestation de quelques petits délinquants et la saisie de ventes équivalent à une journée de « travail ». Il est certain que rien n'est fait. La cité s'endort, en bas, la vente continuera jusqu'au petit matin, puis se poursuivra presque sans pause. À Épinay, le trafic ne s'arrête jamais.

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